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Le discours du sénateur Kenny au Sénat le projet de loi C-7

Projet de loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique et d'autres lois et comportant d'autres mesures

Troisième lecture

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Campbell, appuyée par l'honorable sénateur Pratte, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-7, Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique et d'autres lois et comportant d'autres mesures, tel que modifié.

L'honorable Colin Kenny : Honorables sénateurs, comme je traverse actuellement un épisode de la maladie de Ménière, je vous prie à l'avance d'excuser la qualité de mon intervention.

Certaines des interventions présentées hier étaient très complètes et utiles. J'aimerais aujourd'hui dire quelques mots sur la situation actuelle et sur ce qui nous y a menés.

Pour autant que je sache, les enjeux liés au moral des troupes au sein de la GRC remontent à plus de 40 ans. Il n'est pas nouveau que des agents, hommes et femmes indistinctement, soient victimes de harcèlement et d'intimidation. D'autre part, la pénurie de personnel, la question des renforts, les piètres salaires et le pouvoir absolu du commissaire, ainsi que l'impossibilité pour les simples agents d'exprimer leur point de vue en ce qui concerne la gestion de la GRC, sont d'autres problèmes qui existent depuis longtemps.

En 1977, la Commission royale d'enquête McDonald a été mise sur pied. La plupart d'entre nous se rappellent que, à cette période, la GRC avait pour ainsi dire perdu tout contrôle de la situation. Nous nous souvenons tous des incendies de granges et du fait que la GRC devait être sérieusement rappelée à l'ordre.

Trente ans plus tard, les rapports Brown et McAusland ont été publiés. Pour reprendre les paroles de M. David Brown, dont le rapport a été intitulé Rétablir la confiance, je précise qu'il avait été chargé de cette tâche parce que la direction de la GRC laissait gravement à désirer. Voilà une dure critique.

Le rapport Brown comportait 46 recommandations dont trois étaient très importantes : l'attribution d'un statut d'employeur distinct, la mise sur pied d'un conseil de gestion dirigé par des civils et la création d'une commission indépendante d'examen des plaintes. Je signale que ni l'une ni l'autre des deux premières recommandations n'a été mise en œuvre. Pour ce qui est de la troisième, qui portait sur une commission indépendante d'examen des plaintes, il a fallu attendre jusqu'à la présentation du projet de loi C-42, en 2013, pour qu'on y donne suite. Je précise toutefois que le commissaire n'est pas tenu de prendre les recommandations au sérieux et de les respecter.

En 2015, après que plusieurs décisions judiciaires eurent été rendues, la Cour supérieure s'est prononcée sur la négociation collective. En 1999, la Cour suprême a statué que les membres de la GRC ne pouvaient pas se syndiquer. La Cour estimait que, compte tenu de certains enjeux de sécurité, les agents de la GRC devaient former un groupe distinct des autres. Toutefois, en 2009, la Cour suprême de l'Ontario a statué que les membres de la GRC avaient le droit de former un syndicat.

En 2012, la décision rendue en 2009 a été invalidée par la Cour d'appel de l'Ontario et, en 2015, la Cour suprême a affirmé le droit des membres de la GRC à la négociation collective dans une décision à six contre un. Voici ce que les juges ont déclaré :

La liberté d'association [...] protège l'existence d'un processus véritable de négociation collective qui offre aux employés une liberté de choix et une indépendance suffisantes pour leur permettre de décider de leurs intérêts collectifs et de les défendre.

Ils ont également affirmé ceci :

[...] le régime actuel [...] prive les membres de la GRC de cette liberté de choix et leur impose un programme qui ne leur permet pas de définir et de faire valoir leurs préoccupations professionnelles à l'abri de l'influence de la direction.

Ils ont ensuite ajouté ce qui suit :

Bien que son mandat diffère de celui des autres forces policières, rien ne prouve que le fait d'accorder à la GRC un régime de relations de travail semblable à celui dont bénéficient d'autres forces policières aurait pour effet d'empêcher cet organisme de s'acquitter de son mandat.

En outre, les juges ont aussi déclaré ceci :

Aucun modèle particulier n'est requis; seulement un régime qui n'entrave pas substantiellement la tenue d'une véritable négociation collective et qui respecte donc [la liberté d'association].

J'estime donc que c'est seulement en adoptant le projet de loi modifié que nous pourrons mettre en œuvre une mesure législative conforme à la décision de la Cour suprême, qui a réclamé l'établissement d'un régime de « véritable négociation collective ».

Je suis convaincu que tous les sénateurs savent que, en mai de cette année, le Programme des représentants des relations fonctionnelles a officiellement été aboli par le commissaire Paulson, étant donné qu'il avait été déclaré inconstitutionnel par la Cour suprême. Il a été remplacé par le Programme de services en milieu de travail pour les membres qui, soit dit en passant, ne respecte pas non plus la décision de la Cour suprême, car il est lui aussi géré par l'employeur.

J'aimerais décrire brièvement certains problèmes propres au projet de loi C-7, qui ont amené le comité à proposer des amendements. Puisque la partie du projet de loi qui porte sur l'accréditation syndicale a été abordée de façon très approfondie par le sénateur Carignan, je vais passer directement aux neuf exclusions, qui empêchent la GRC de négocier autre chose que les salaires et les avantages sociaux et qui privent les membres de cette organisation de leur droit à une « véritable négociation collective », comme le préconise la Cour suprême.

Les exclusions signifient que le syndicat ne peut pas négocier à l'égard de tout problème lié à la pension; aux techniques de contrôle d'application de la loi, c'est-à-dire la façon dont ils se rendent au travail chaque jour et ce qu'ils font; aux transferts d'un poste à un autre et aux nominations. Ces gens peuvent être transférés n'importe où au Canada, n'importe où en Amérique du Nord et n'importe où dans le monde. Le commissaire s'est vanté de la distance à laquelle ils peuvent être envoyés.

La liste d'exclusions continue : les évaluations — il s'agit des évaluations annuelles; les stages; le licenciement ou la rétrogradation — on ne peut laisser le syndicat parler de cela; la conduite, y compris le harcèlement; les compétences de base pour l'exercice des fonctions à titre de membre de la GRC ou de réserviste; l'uniforme, la tenue vestimentaire, l'équipement et les médailles.

Cette liste, soit dit en passant, a été rédigée par des officiers supérieurs de la GRC. Le commissaire nous a dit qu'il avait demandé à ses subalternes de se charger de la rédaction de cette partie. Si cette liste d'exclusions est conservée, les dés seront encore pipés et la direction pourra continuer de faire ce qu'elle faisait. Le fait d'abolir ces exclusions permettrait plutôt au syndicat de rééquilibrer la GRC.

(1500)

Pendant l'étude du projet de loi, les honorables sénateurs ne doivent pas oublier que la GRC est le seul service policier du Canada auquel la loi accorde des exclusions comme celles-ci avant même que ses membres puissent se syndiquer. Les dés sont pipés.

L'une des principales questions qui ont été soulevées au comité est que le gouvernement considère la GRC comme un simple ministère et la traite comme telle. Le gouvernement se trouvait devant une alternative : il pouvait soit considérer la GRC comme un ministère et prévoir un syndicat comme dans tous les autres ministères fédéraux, soit reprendre le modèle de fonctionnement des autres services policiers.

Eh bien, il a décidé d'imposer à la GRC le modèle de la fonction publique sans tenir compte du fait que les membres de la GRC sont des policiers et des agents de la paix, et non des fonctionnaires comme les autres.

Selon les témoignages que le comité a entendus, la Cour suprême a conclu que les policiers sont très différents des fonctionnaires. Edward Aust a cité l'arrêt unanime de la Cour suprême R. c. Campbell, qui dit que les policiers sont des titulaires de charge publique, ce qui permet d'établir une nette distinction entre les agents de la GRC et les fonctionnaires. D'après la Cour suprême, ils ne sont pas des fonctionnaires et ne devraient pas être considérés comme tels pour ce qui est des négociations collectives.

Je crois qu'il n'y a pas un seul sénateur qui n'a pas reçu de courriel d'un membre de la GRC décrivant en détail les plaintes de harcèlement ou d'intimidation, les recours collectifs et les punitions inhabituelles ou injustes qui sont monnaie courante à la GRC.

Si le projet de loi C-7 est adopté tel qu'il a été modifié, les membres de la GRC pourront se syndiquer et s'attaquer aux problèmes de la force, mais cela ne se limite pas au harcèlement, à la dénonciation, à la protection, aux piètres conditions de travail et à la juste représentation. Toutes ces questions seront étudiées. Cela améliorerait aussi le moral et la cohésion de la force de même que la perception que les citoyens ont de la GRC.

Ces changements ne se feront pas du jour au lendemain, mais le fait de donner aux membres la possibilité de discuter avec la direction et d'avoir leur mot à dire à propos des questions qui ont une incidence sur leur vie et leur travail ne peut être que salutaire.

Des dizaines d'agents de la GRC ont parlé des problèmes de la GRC au comité. Ils ont dit qu'ils estimaient avoir besoin d'un syndicat en bonne et due forme pour s'y attaquer.

Un des plus graves est la difficulté d'obtenir rapidement des renforts. Dans une ville comme Toronto ou Calgary, il y a toujours des renforts à proximité en cas de besoin. Ils arrivent en quelques minutes, voire quelques secondes, si un policier est en danger. Or, dans la GRC un détachement peut devoir attendre des heures que les renforts arrivent.

Les membres réguliers veulent que nous les aidions à corriger ce problème. D'autres problèmes concernent des choses simples, comme l'équipement. Je pense aux plaintes reçues à mon bureau au sujet des carabines. Pendant des années, la GRC n'a pas fourni de carabines. Les carabines sont des armes d'épaule plus efficaces que les armes de poing pour maîtriser quelqu'un à distance. Elles sont sans contredit nécessaires. Les choses auraient pu tourner différemment à Mayerthorpe et à Moncton si les agents en avaient eu ces armes. Ces besoins sont une question de vie ou de mort pour la GRC.

Pour savoir s'il manque d'effectifs, on calcule souvent le nombre de policiers par habitants dans un lieu donné. La Division E de la GRC, par exemple, dont le territoire couvre la quasi-totalité de la Colombie-Britannique, compte 1 policier pour 723 citoyens. Autrement dit, chaque policier ou policière protège 723 de ses concitoyens. À Victoria, en revanche, on compte 1 policier pour 425 citoyens. Nous sommes pourtant dans la même province. Les policiers de Victoria ont 40 p. 100 moins de citoyens sur qui veiller. Et à Vancouver? Là-bas, on compte 1 policier pour 499 citoyens; les policiers vancouvérois doivent donc s'occuper de 30 p. 100 mois de citoyens que leurs collègues de la police montée du reste de la province.

Ce ratio n'est pas le seul moyen permettant d'évaluer la charge de travail des policiers, mais de tels écarts sont tout de même révélateurs du manque d'effectifs.

Le comité a entendu le témoignage de nombreux membres de la GRC qui ne font pas confiance aux gilets pare-balles dont ils sont équipés, qui datent pour plupart d'il y a 25 ans et qui ne sont pas de la plus grande efficacité.

Son Honneur le Président : Pardonnez-moi, sénateur Kenny, mais votre temps de parole est écoulé. Souhaitez-vous demander cinq minutes de plus?

Le sénateur Kenny : S'il vous plaît, Votre Honneur.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

Son Honneur le Président : Vous avez cinq minutes de plus, sénateur Kenny.

Le sénateur Kenny : Je vais accélérer la cadence.

De nombreux membres de la GRC souhaiteraient également que leur uniforme soit plus foncé. Ils voudraient que tous les morceaux soient assortis et aient la même apparence. Ils craignent que, en cas de fusillade, le tireur ne vise les parties plus pâles qui ne sont pas recouvertes par le gilet pare-balles. Je ne peux pas concevoir qu'on envoie nos policiers affronter le danger sans les équiper de gilets pare-balles efficaces.

Bon nombre d'agents sont aussi surmenés, ce qui leur cause du stress. Cette situation découle du manque de financement par le gouvernement. Présentement, il manque de policiers dans les rues et les tâches administratives sont beaucoup trop lourdes. Il s'agit en fait d'un effet indésirable de la Charte des droits et libertés. Depuis son entrée en vigueur, en 1982, la quantité de formulaires à remplir a carrément explosé, puisque les policiers doivent fournir toutes sortes de données aux tribunaux.

Eh bien, l'Université de Fraser Valley a réalisé une étude qui couvrait une période de 30 ans et qui a montré que le temps consacré aux formalités administratives avait explosé. Les chiffres suivants portent sur la période entre 1983 et 2003, mais l'étude est toujours en cours : les cas d'entrée par effraction, qu'on traitait en une heure avant la Charte, entraînent maintenant de 5 à 10 heures de travail administratif. On se demande pourquoi on ne voit pas d'agents de police dans la rue. Ils sont tous en train de rédiger les documents pour des appels interjetés devant les tribunaux. Avant, il fallait une heure pour traiter les cas de conduite avec facultés affaiblies; aujourd'hui, il en faut cinq. Les cas de violence familiale prenaient une heure à traiter; aujourd'hui, il faut de 10 à 12 heures de travail administratif pour les traiter.

En 2007, David Brown — le responsable de l'étude — a fait état d'un manque d'effectifs de l'ordre de 25 à 30 p. 100 dans tous les détachements qu'il a visités au cours de son étude de trois ans.

Au Sénat, un groupe de sénateurs a préparé le rapport intitulé Vers une revitalisation de la tunique rouge et a conclu qu'il manquait 5 000 membres au sein de la GRC. Il en manque beaucoup. Il manque presque un tiers de l'effectif normal.

(1510)

J'ai beaucoup à dire sur la protection des dénonciateurs et sur la gestion des promotions. On a pu constater, au premier rang des problèmes à résoudre concernant les promotions — car nous les avons incluses dans l'une des exceptions —, que la proportion des concours de la GRC qui étaient annoncés équivalait à seulement 70 p. 100, selon le rapport intitulé Égalité entre les sexes et respect publié en 2012 par la GRC. Qu'en était-il des 30 autres concours sur 100? Personne n'a été mis au courant de ces concours. Personne n'a pu poser sa candidature pour obtenir ces postes. Tout à coup, on annonce la promotion de monsieur ou madame Untel comme inspecteur. Les autres se disent : « Pourquoi pas moi? »

Donc, une grande organisation accorde des promotions à certaines personnes et ne prévient même pas les autres employés admissibles qu'ils pourraient participer à un concours. Un syndicat ne fera qu'une bouchée de ces pratiques, je vous le garantis, et ce sera tant mieux.

Si je puis me permettre, Votre Honneur, je voudrais terminer en disant qu'il ne fait aucun doute dans mon esprit que nous réservons un traitement injuste aux membres de la GRC depuis des années. Ce projet de loi, tel que modifié, est l'occasion de commencer à remédier à cette situation en ce qui a trait à leur rémunération, leur sécurité et leurs conditions de travail, qui sont importantes pour leur moral et pour l'efficacité d'une institution qui nous est très chère, à tous.

Il est évident qu'il faut absolument éliminer les neuf exceptions si nous voulons que les membres de la GRC aient une chance réelle de résoudre ces problèmes cruciaux. Si le Sénat n'appuie pas la version modifiée du projet de loi, je crains que la situation au sein de la GRC ne change pas.