Victoria Times-Colonist - le 15 juillet 2014
Fredericton Daily Gleaner - le 15 juillet 2014
Calgary Herald - le 16 juillet 2014
Vancouver Sun - le 16 juillet 2014
Charlottetown Guardian - le 16 juillet 2014
Windsor Star - le 16 juillet 2014
Huffington Post - le 16 juillet 2014
Saskatoon Star Phoenix - le 17 juillet 2014
Hamilton Spectator - le 18 juillet 2014
Edmonton Journal - le 21 juillet 2014
par Colin Kenny
Au Canada, tout le monde se plaint de la température, mais ici, nous avons au moins la chance de ne pas avoir autant de tornades qu’aux États-Unis. Ce qui explique sans doute notre complaisance à l’égard du phénomène. Aux États-Unis, il y a environ un millier de tornades par année; ici, entre 60 et 80.
Complaisance rime avec vulnérabilité; malgré le nombre de tornades que les Américains subissent, les Canadiens sont sans doute plus vulnérables que ces derniers en situation d’urgence.
Soixante tornades, ce n’est pas beaucoup, à condition de ne pas être pris dans l’une d’elles. Lorsqu’une tornade surgit, il faut être prêt à réagir rapidement, car celle-ci peut provoquer bien des dommages collatéraux – fuites de gaz, déraillements de train transportant des matières dangereuses, déversements de produits chimiques, fuites de prisonniers, enlèvements d’enfants, pannes de courant, actes terroristes.
Les Américains sont vulnérables à ces menaces, tout comme nous. La différence, c’est que les Américains sont alertés.
En mai dernier, la Croix Rouge canadienne a déclaré que les Canadiens n’étaient pas prêts à affronter des situations d’urgence et que les choses allaient de mal en pis – elle a d’ailleurs été appelée à l’aide à quatre reprises pour aider des gens se trouvant dans des situations d’urgence en 2013 et en 2012.
Les États-Unis ont mis sur pied un réseau national qui permet d’alerter les citoyens en cas de catastrophes naturelles ou humaines en utilisant à peu près tous les appareils de communication existants.
Au Canada, nous dormons. Les Albertains peuvent se vanter d’avoir l’Alberta Emergency Alert, mise sur pied en réaction à la tornade qui a balayé Edmonton en 1987 et qui a fait 27 morts. L’Alberta est prête. Le reste du Canada ne l’est pas.
Et ce n’est pas parce que les instances gouvernementales ignorent les failles de nos systèmes d’alerte. Le problème, c’est plutôt la léthargie face à ces failles, une léthargie attribuable à l’absence de volonté politique sur la question.
En 2007, Scott Hutton, aujourd’hui directeur exécutif de la Radiodiffusion du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), a livré un témoignage au Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense. Dans son témoignage, il a promis – promesse qu’il a subséquemment réitérée – que si l’industrie de la radiodiffusion canadienne n’avait pas mis sur pied un système d’alerte national en cas d’urgence au 1er mars 2009, le CRTC chargerait un organisme de le faire et obligerait l’industrie à financer le système.
Le Comité avait d’ailleurs, trois ans plus tôt, produit un rapport dans lequel il demandait la mise en place d’un vaste système. Les membres du Comité étaient donc ravis de l’engagement de M. Hutton.
Celui-ci avait affirmé que le projet était de la plus haute importance pour la sécurité et la sûreté des Canadiens, et il avait ajouté que tout serait fait pour veiller à la bonne mise en œuvre d’un système fiable.
Toutefois, le délai établi par M. Hutton – qui visait à donner à l’industrie amplement de temps pour prendre toutes les mesures voulues – a été dépassé il y a cinq ans. Nous ne disposons toujours d’aucun système d’alerte, et l’industrie de la radiodiffusion, qui se traîne les pieds depuis dix ans, a été mise sur la sellette.
Entre la date butoir de 2009 fixée par le CRTC et aujourd’hui, les Américains ont quant à eux mis la dernière main à un vaste mécanisme de dispositions d’alerte en cas d’urgence qui envoie des alertes en tenant compte de la fragmentation de l’information du 21e siècle. Ayant reconnu que la façon dont les citoyens s’informent a drastiquement changé au cours des dernières décennies, les Américains ont décidé d’adapter leur système pour tenir compte de cette réalité.
Ils ont donc élaboré un système d’alerte à diffusion multiple : sirènes, messages télévisés et radiodiffusés, communications par câblodistribution traditionnelle, sans fil et par satellite, gazouillis, messages texte, etc. Il est de plus en plus difficile pour les Américains de ne pas être alertés; sauf s’ils ferment tous leurs appareils de communication et qu’ils s’enfouissent la tête sous des oreillers.
Le rôle du système d’alerte en cas d’urgence est de permettre au président des États-Unis de s’adresser au public américain en cas d’urgence nationale. Les autorités locales et des États l’utilisent également pour diffuser des renseignements importants en cas d’urgence, comme les alertes AMBER (enfants portés disparus) et les alertes météo. À l’échelle locale et à celle des États, la participation est volontaire, mais presque tous les fournisseurs de communications y adhèrent. Le système fonctionne grâce à l’injection de nombreux millions de dollars de la part du gouvernement fédéral, des fonds dont le Canada se passe toujours.
Le système américain est très intelligent. Les fournisseurs de téléphones cellulaires émettent les alertes à partir des tours se trouvant là où le téléphone est utilisé plutôt qu’au lieu de résidence de la personne à qui le téléphone appartient; ainsi, si votre indicatif régional est celui du Maine et que vous êtes en déplacement au Texas, vous recevrez une alerte du Texas.
CBC News a récemment rapporté les propos d’un fonctionnaire d’Environnement Canada qui affirmait qu’un système de téléphone cellulaire intelligent de cette nature pourrait voir le jour au Canada d’ici quelques années. D’ici là, Environnement Canada aura peut-être réussi à régler son problème avec le bilinguisme : en effet, le Ministère ne semble pas savoir comment transmettre des alertes par gazouillis simultanément en français et en anglais, comme l’exige la loi. Incapable de surmonter cet incroyable défi, le Ministère a renoncé à la diffusion de gazouillis.
CBC a également récemment rapporté les propos de Greg Johnson, de la Saskatchewan, qui surveille les tornades des deux côtés de la frontière depuis une dizaine d’années. Selon lui, en comparaison avec les États-Unis, c’est comme si le Canada ne possédait aucun système d’alerte.
Et qu’en est il de l’avertissement sévère de M. Hutton à l’intention des fournisseurs de communications en 2007 établissant au 1er mars 2009 la date limite pour établir un vaste système d’alerte canadien? Bien peu a été fait en ce sens.
Dans son site Web, le CRTC indique avoir imposé comme condition de licence à CBC/Radio-Canada que les alertes d'urgence soient diffusées par les émetteurs radio de la Société d’ici la fin de 2014.
Toujours dans son site Web, le CRTC « propose » d’exiger que le reste de l’industrie de la radiodiffusion canadienne – surtout des radiodiffuseurs privés – ait recours aux services de l’entreprise que le CRTC a désignée pour diffuser les messages d’alerte, et ce, d’ici la même date butoir imposée à CBC.
Néanmoins, le CRTC ajoute que les petits radiodiffuseurs pourraient se prévaloir d’exemptions.
Ainsi, il y a sept ans, le CRTC a établi une date butoir pour l’ensemble des radiodiffuseurs. Il y a 5 ans que cette date a été dépassée. Le CRTC propose maintenant d’établir une nouvelle date butoir à la fin de l’année. Mais cette date n’est pas ferme – il s’agit simplement d’une proposition.
Même si la proposition se réalise, nous serons encore très loin d’avoir un système se rapprochant de celui des Américains, puisque le gouvernement fédéral n’offre à Environnement Canada aucun financement pour réaliser l’une de ses principales missions : alerter les Canadiens en cas de danger. Il y a en sans doute qui commencent à avoir des craintes. Ce qui est mieux que de dormir.
[Colin Kenny est l’ancien président du Comité sénatorial de la sécurité nationale et de a défense. Kennyco@sen.parl.gc.ca]