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Comment guérir le mal qui afflige la GRC?

Calgary Herald - June 15, 2013

Par Colin Kenny

Je ne suis pas ce qu’on peut appeler « un gars de syndicat ».

J’ai grandi dans un milieu où l’on considérait que les syndicats empêchaient les choses d’avancer. Les syndicats font grand cas de la solidarité. Pour ma part, j’accorde plus d’importance à la libre pensée.

Faut-il en conclure que je vois les syndicats du même œil que, par exemple, Stephen Harper?

Le message que j’aimerais transmettre à Stephen Harper est le suivant : la GRC a besoin d’un syndicat. Un syndicat serait bon pour les agents, bien sûr, mais il aiderait aussi les dirigeants à améliorer l’institution. En fait, je dirais même que la création d’un syndicat est essentielle à la remise de notre corps policier national sur les rails. Les tentatives de réforme ne marchent tout simplement pas. De plus en plus de poursuites sont intentées par des employés mécontents et d’anciens employés, et le moral est au plus bas parmi les agents.

Une bonne part du problème peut être attribué au manque de personnel : comment se fait-il qu’un gouvernement qui dit défendre la loi et l’ordre ait réduit le recrutement à la GRC, alors même qu’il y a des postes à combler dans tous les détachements du pays? Trop de membres sont surchargés, et donc stressés. On ne s’étonnera pas que le rendement en souffre parfois.

Mais le manque de personnel n’est qu’un des facteurs qui causent de la frustration à la GRC. Dans cette institution soumise depuis si longtemps à l’arbitraire et au copinage, il serait difficile de tout changer du jour au lendemain et de prétendre que l’équité règne et que le mérite fait foi de tout.

L’équité a toujours été un principe un peu flottant à la GRC. Celle-ci est depuis longtemps une institution autoritaire, au mode de pensée militaire, qui a tendance, dans les dossiers tels que les promotions et la discipline, à prendre des décisions arbitraires.

Les « représentants des relations fonctionnelles » sont censés traiter les plaintes légitimes. Mais ces gens sont redevables de leur emploi à leurs chefs, qui sont peut-être visés par les plaintes en question. De plus, les représentants sont payés par la GRC, qui ne manque pas de rappeler le dicton : ne mords pas la main qui te nourrit.

Certains agents qui osent se plaindre sont traités équitablement. D’autres sont relégués pendant un bon moment à des tâches secondaires. Quoi qu’il arrive, déposer une plainte n’est jamais bon pour la carrière. La plupart de ceux qui se font intimider, ridiculiser, ou même agresser, choisissent donc de souffrir en silence.

Un syndicat serait utile. Les gens qui partagent l’idéologie du gouvernement actuel pensent d’habitude que les syndicats empêchent les dirigeants d’embaucher, de congédier et de discipliner des employés efficacement. Le commissaire actuel, Bob Paulson, a déploré qu’il était difficile pour les hauts gradés de congédier les pommes pourries qui ternissent la réputation de l’organisation. Le gouvernement a réagi en forçant l’adoption, au Parlement, d’un projet de loi qui donnera à la GRC plus de pouvoir pour limoger des employés.

Pourquoi donc voudrais-je qu’un syndicat s’en mêle? Un syndicat ne nuirait-il pas aux chefs bien intentionnés qui cherchent à se débarrasser des employés problématiques?

Ce n’est pas ce que plusieurs chefs de police du pays m’ont dit. Ce qu’ils m’ont dit, c’est que, dans les organisations où il y a un syndicat, les employés et les patrons n’ont d’autre choix que d’établir un ensemble de règles claires et justes que tout le monde comprend.

En général, quand les règles sont claires, il se passe deux choses. D’abord, les cas de mauvaise conduite sont plus rares parce que les conséquences négatives sont expliquées clairement dans la convention négociée entre les deux parties. Ensuite, les conflits se règlent entre parties désintéressées – et non par un chef qui, le soir, joue au hockey avec celui qui est visé par une plainte. Il y a quand même un affrontement, mais le processus est plus équitable.

La police est évidemment un service essentiel. Mais à peu près tous les corps policiers du Canada sont syndiqués, et les grèves ne sont pourtant pas courantes. Chaque fois, les gouvernements adoptent simplement une loi faisant de la police un service essentiel.

Les études ont montré que, pour un trop grand nombre d’employés n’appartenant pas aux échelons les plus élevés, la GRC est un milieu de travail non équitable. C’est notamment le cas pour les femmes et les membres des minorités, mais aussi pour les hommes blancs qui ne font pas partie des cercles d’influence. La semaine dernière, à une réunion du Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense, le commissaire Paulson a qualifié ces gens de mauvais perdants : « Soyons honnêtes. Les ambitions de certains dépassent leurs capacités. Je ne peux pas gérer une force qui tolère ou indemnise des gens qui ont des ambitions inachevées. »

Le commissaire a dit au Comité qu’il avait tenu la main d’agentes de la GRC qui avaient subi la violence de collègues. Il a dit qu’il avait demandé à l’une d’elles, la sergente d’état-major Caroline O’Farrell, qui a déclaré avoir été violentée par des membres du Carrousel, comment il pouvait l’aide dans sa démarche. « Je lui ai demandé ce que nous pouvions faire, moi ou quiconque d’autre, pour l’aider. Elle a refusé notre aide. Elle m’a seulement offert de me remettre sa déclaration avant de la déposer ».

Il est passé, le temps de tenir les mains à la GRC. Il est passé, le temps où les simples agents devaient espérer bénéficier de la sympathie du commissaire ou d’un autre haut gradé pour obtenir le respect qui leur était dû.

Force est de constater que deux options sont possibles pour les membres qui ont été mal traités par la GRC : une poursuite en justice ou un syndicat.

Les poursuites avivent les ustilités entre les parties. De plus, chaque fois qu’une affaire se retrouve devant les tribunaux, la GRC, institution autrefois vénérée, perd un peu plus de son lustre.

Les syndicats ne font pas l’affaire de tout le monde. Bien sûr, la direction doit rester aux commandes, mais les syndicats sont souvent capables de favoriser un certain équilibre dans les cas où les droits d’un employé ont été bafoués, comme dans celui qui nous occupe ici.

Le gouvernement Harper a présenté, à la dernière législature, un projet de loi qui aurait permis aux membres de la GRC de former un syndicat. C’est un tribunal ontarien qui le lui avait ordonné. Mais le gouvernement a appelé de la décision, qui a été infirmée, et il a remplacé son projet de loi par celui qui renforce le pouvoir du commissaire de congédier des employés.

Nous voyons maintenant le résultat. Plus de décisions autoritaires, plus de décisions arbitraires.

[Colin Kenny est l’ancien président du Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense. kennyco@sen.parl.gc.ca]