The Ottawa Citizen - July 19, 2012
Par Colin Kenny
La gestion des achats d’hélicoptères par le gouvernement canadien au cours des deux dernières décennies donne un nouveau sens à toute une gamme d’adjectifs, comme hésitant, défectueux, maladroit et malavisé. Mais des mots encore moins flatteurs méritent d’être employés ici.
Commençons par le mot cobaye. Sans le facteur cobaye, les Canadiens pourraient pardonner au moins certaines des gaffes liées à l’histoire du Canada en matière d’achats d’hélicoptères. Mais toute violation du facteur cobaye est impardonnable.
C’est simple : les pays de taille moyenne qui doivent composer avec des budgets serrés et des besoins importants et imminents en matière d’équipement ne peuvent pas se permettre de se porter volontaire comme cobaye auprès d’une société qui tente de déterminer si un appareil important a) fonctionnera réellement; et (b) sera livré à temps au prix convenu.
Les pays devraient aussi tenter d’éviter le facteur lève-tôt : ne pas acheter du matériel sophistiqué en début de production – attendre plutôt qu’un idiot audacieux l’achète et s’en serve assez longtemps pour avoir la certitude qu’il n’est pas défectueux.
Ce qui nous mène au facteur faux cousin. Éviter d’acheter tout matériel militaire qui se veut être le cousin plus complexe d’un appareil civil déjà en utilisation. Une utilisation militaire est presque toujours plus exigeante qu’une utilisation civile. Même une myriade d’ajouts et d’ajustements techniques ne donne habituellement pas lieu à une version militaire digne de ce nom.
Bref, acheter des versions commerciales, acheter tard dans le cycle de production et éviter les mutants civils.
Oh, il y a aussi le facteur délire d’érable. Trop souvent notre ministère de la Défense nationale insiste pour que les fabricants « canadianisent » ce que nous achetons, ce qui mène souvent à des dépassements de coûts et à des retards de livraison, avec très peu d’avantages. Par exemple, le Canada devait prendre possession de 16 hélicoptères Chinook en 2008, parce que le gouvernement avait compris à quel point ils étaient nécessaires pour déplacer les troupes en Afghanistan. Nous avons insisté pour obtenir une version « canadianisée », ce qui fait en sorte que nous serons chanceux de recevoir une commande réduite de 15 appareils (un de moins, pour contrebalancer les dépassements de coûts) en 2013.
Mais en ce qui concerne les acquisitions maladroites, il n’y a rien de tel que les Sea Kings, notre flotte d’hélicoptères âgés et en décrépitude utilisée pour la surveillance navale, la lutte anti sous marine et la recherche et sauvetage en mer. Acquis il y a près de 50 ans, il s’agit d’antiquités coûteuses et peu fiables se rapprochant de Kitty Hawk dans la chronologie de l’histoire de l’aviation.
En 2004, après plus de deux décennies de faux départs et de tergiversations, le gouvernement fédéral a commandé 28 Cyclones du fabricant Sikorsky, une version conceptualisée de la série S-92 d’appareils civils qui avait connu sa part de problèmes. En effet, en 2009, un S-92A de Sikorsky à destination d’une plate-forme pétrolière au large de Terre-Neuve s’est écrasé, causant le mort des 17 passagers. Le problème? Une boîte de vitesse qui devait pouvoir fonctionner à sec pendant 30 minutes, en vain.
Les Cyclones devaient commencer à être livrés en 2009. Nous sommes maintenant en 2012, et il n’y a aucun appareil en vue. Des amendes de retard ont été imposées, mais n’ont toujours pas été payées. Il faudra peut-être attendre encore plusieurs années avant que Sikorsky ne livre les hélicoptères qui, en vertu d’un contrat, devraient déjà se trouver sur les navires et pistes d’atterrissage du Canada.
On a déjà dépensé plus d’un million de dollars pour reconfigurer les plates-formes d’atterrissage de deux frégates canadiennes pour qu’elles puissent accueillir les Cyclones. Les plates-formes devront maintenant être re-reconfigurées en raison de l’utilisation prolongée des Sea Kings, puis re-re-reconfigurées si les Cyclones finissent par arriver.
Qu’est-ce qui a cloché? Nous avons servi de cobaye. Aucun autre pays n’a commandé cet appareil rudimentaire qui n’avait pas fait ses preuves. Le Canada était donc plus que lève-tôt. Et nous avons commandé un faux cousin – une version militaire conceptualisée d’un appareil civil. Il est rapidement devenu apparent que la version civile n’avait pas la capacité de transport nécessaire. L’augmentation de la taille des moteurs a entraîné une série d’autres ajustements qui tardent à donner lieu à un hélicoptère à haute performance.
En 1987, le gouvernement de Brian Mulroney a annoncé l’achat d’hélicoptères polyvalents tri-turbines haut de gamme AgustaWestland EH-101 pour remplacer les Sea Kings. Le prix avait été fixé à 4,8 milliards de dollars, une somme considérable. La Grande-Bretagne et l’Italie avaient participé au développement de l’EH-101, mais même après six années de tergiversations de la part du gouvernement Mulroney, aucun des pays n’avait rigoureusement mis l’appareil à l’essai.
Jean Chrétien, élu premier ministre en 1993, avait auparavant dénoncé le prix prohibitif des EH-101. Il a d’ailleurs ordonné l’annulation du contrat, et les contribuables canadiens ont dû payer une pénalité de plus de 500 millions de dollars.
Chrétien n’a jamais remplacé les Sea Kings. Mais il a dû tenir compte de la nécessité de renouveler la flotte canadienne d’hélicoptères de recherche et de sauvetage CH-113 Labrador, qui tombaient du ciel à un rythme alarmant.
Paradoxe des paradoxes – Sikorsky obtient le contrat pour les remplacer, ce qui signifie que Chrétien est forcé d’acheter 15 Cormorants – une version du EH101, dont le premier ministre s’était débarrassé pour la somme de 500 millions de dollars.
Les Cormorants se sont avérés être un rêve pour les pilotes, mais un cauchemar pour les mécaniciens. Le rotor de queue de la version militaire adaptée comportait un défaut de conception qui donne régulièrement du fil à retordre à nos techniciens. Selon certaines informations, le rapport de 30:1 entre le temps d’entretien et le temps de vol est stupéfiant et dépasse même celui des Sea Kings. Mais personne ne devrait être surpris – nos Cormorants sont à la fois des lève-tôt et de faux cousins.
La tâche de remplacer les Sea Kings a été laissée à Paul Martin; son gouvernement s’en est acquitté avec un soudain empressement, arrêtant son choix sur les Cyclones du fabricant Sikorsky.
Enfin, une décision rapide, mais qui laissait évidemment à désirer.
Si seulement les cobayes avaient des ailes.
[Colin Kenny est l’ancien président du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Kennyco@sen.parl.gc.ca].