The Globe and Mail - June 26, 2012
Par Colin Kenny
La catastrophe du centre commercial à Elliott Lake est devenue une tragédie empreinte d’ironie mardi lorsque le cabinet du premier ministre a annoncé que Stephen Harper était prêt à envoyer des secours d’urgence.
Il s’agirait d’un geste noble si la majorité conservatrice au Sénat n’était pas sur le point d’adopter un projet de loi budgétaire omnibus qui mettra fin à l’aide offerte par le gouvernement fédéral aux équipes de secours d’urgence de première ligne partout au Canada, y compris l’unité de recherche et sauvetage en milieu urbain à l’aide d’équipement lourd (RSMUL) basée à Toronto et actuellement dépêchée à Elliott Lake.
Si le gouvernement fédéral trouve un moyen d’aider à Elliott Lake, que Dieu le bénisse. Alternativement, Dieu voudra peut-être blâmer le gouvernement pour avoir mis fin à sa contribution à un programme fédéral-provincial-territorial coopératif dont l’objectif était de veiller à ce que les Canadiens partout au pays aient rapidement accès à de l’aide compétente en cas de catastrophe.
Le Programme conjoint de protection civile (PCPC) a été mis sur pied en 1980 pour créer les infrastructures et offrir l’équipement de recherche et sauvetage et autre matériel nécessaires pour permettre aux travailleurs d’urgence de première ligne de faire leur travail aussi rapidement et de façon aussi sécuritaire que possible. Les cinq unités de RSMUL situées dans des grandes villes partout au pays font en sorte que de l’aide puisse parvenir rapidement aux collectivités environnantes. Le Collège canadien de gestion des urgences à Ottawa offre une formation précieuse, à la fois en salle de classe et sur le terrain, aux travailleurs d’urgence. Toutes les organisations ont perdu leur financement du gouvernement fédéral.
Depuis la confédération, le Canada a connu d’innombrables catastrophes, et ces programmes conjoints reconnaissent que la capacité d’intervention a été fragmentée dans tout le pays, et ce, sans définition claire des rôles des divers ordres de gouvernement et trop souvent sans les ressources nécessaires pour intervenir lorsque nécessaire, tout particulièrement dans les petites villes et les régions rurales.
Le gouvernement fédéral a investi plus de 170 millions de dollars dans ces programmes conjoints. Le Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense, dans son rapport de 2008 intitulé La protection civile au Canada, fait valoir qu’il faut accorder davantage de financement et avoir un mécanisme de coordination plus sophistiqué, et que le gouvernement fédéral devrait jouer un rôle de leader à cet égard.
Au lieu, le gouvernement Harper abandonne ce secteur d’activité. Il prétend que, pour ce qui est de fournir du matériel, « l’objectif du programme a été atteint ». Cette déclaration est risible, s’il est possible de rire et de pleurer en même temps. Le matériel doit continuellement être modernisé.
Lorsque John McKearney, le chef des pompiers de Vancouver, a appris la semaine dernière que l’unité de RSMUL perdait son financement du gouvernement fédéral, il s’est dit être « en état de choc ». L’équipe de Vancouver a offerte une aide précieuse à la Nouvelle-Orléans après l’ouragan Katrina en 2005. McKearney estime que l’unité a besoin d’un soutien fédéral continu pour que le mécanisme de coordination soit prêt en cas de tremblement de terre en Colombie-Britannique.
Cette suppression de financement correspond bien aux convictions idéologiques du gouvernement Harper selon lesquelles les responsabilités constitutionnelles des provinces devraient être financées uniquement par les provinces. Pourquoi ce mantra s’applique-t-il aux secours d’urgence, mais pas aux domaines comme l’éducation et la justice? C’est une question que les Canadiens devraient poser. Lorsque des gens qui vous sont chers se retrouvent sous une pile de décombres et attendent d’être secourus, ce qu’il faut, ce sont des secours offerts par quiconque est le plus compétent dans le domaine. Dans la plupart des cas, la meilleure intervention découle d’efforts bien coordonnés auxquels participent tous les ordres de gouvernement possible.
Elliott Lake n’est pas un incident isolé. Pensez à la tornade à Edmonton, le 21 juillet 1987, aux inondations au Saguenay, le 20 juillet 1996, aux inondations de la rivière Rouge, le 29 avril 1997, à la tempête de verglas dans l’est de l’Ontario et l’ouest du Québec, le 9 janvier 1998, aux attaques terroristes à Manhattan et à Washington, le 11 septembre 2001, à l’épidémie du SRAS à Toronto, le 5 mars 2003, à la plus importante panne d’électricité de l’histoire de l’Amérique du Nord, 14 août 2003, à l’ouragan Juan en Nouvelle-Écosse, le 28 septembre 2003; et la liste continue jusqu’au 23 juin 2012, au centre commercial Algo, à Elliott Lake.
L’arrivée de l’équipe de RSMUL lundi matin ne permettra peut-être pas de sauver une seule vie à Elliott Lake. Mais combien imprudent pour ce gouvernement de croire que son soutien ne sera pas essentiel à la suite de toutes les catastrophes inévitables à venir?
[Colin Kenny est l’ancien président du Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense. kennyco@sen.parl.gc.ca]